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La Guinée nouvelle

La Petite Guinée du Bronx

Au cœur du Bronx, quartier de New York qui traîne toujours une mauvaise réputation, il y a «Little Conakry», où les Guinéens vivent entre eux.

 

«Tant que les riches seront riches, les pauvres seront pauvres». Chérif Mamadou Diallo, qui se présente comme un cousin de Nafissatou Diallo, l’accusatrice de Dominique Strauss-Kahn (DSK), se fait cette réflexion en marchant dans le Bronx, qu’il connaît comme sa poche. Et pour cause: il vit depuis vingt ans dans cet arrondissement de New York, l’un des cinq que compte la ville, avec Manhattan, Brooklyn, le Queens et Staten Island.

Dans la topographie sociale et mentale de New York, le Bronx se trouve aux antipodes de TriBeCa, le quartier chic de Manhattan ou DSK a emménagé dans une luxueuse maison de ville en attendant son procès. Qu’il paye un loyer mensuel de 35.000 euros, plus d’un an de travail pour un immigré de base, ne choque guère chez les Guinéens du Bronx, américanisés:

«Il est riche, non?, réagit Abdoulaye, un commerçant.Et sa femme est milliardaire…»

Chérif Mamadou Diallo, employé de la ville de New York, a été recruté par un organisme d’aide aux enfants handicapés parce qu’il parle français. Il s’occupe de familles africaines et haïtiennes qui maîtrisent mal l’anglais. Lui-même parle le français avec un fort accent américain. Il n’a pas remis les pieds en Guinée depuis quinze ans.

«Ici dans le Bronx, il y a de tout: des blancs, des noirs, des latinos, des juifs, des riches et des pauvres», explique-t-il.

Little Conakry

Au Bronx Zoo, un lieu agréable et boisé situé en bordure du quartier, des familles de toutes les origines viennent les week-ends. Quelques blocs plus loin, c’est l’Afrique, sur des rues dont la numérotation prolonge celle de Manhattan. Au croisement de la 3e avenue et de la 166e rue, une mosquée, un restaurant, un mini-market et une association forment un «Little Conakry», derrière des portes peintes en vert et des murs en briques. Une petite Guinée qui reste très discrète.

Au restaurant, chez Mr Jalloh (l’orthographe anglo-saxonne de Diallo), les bons plats du pays baignent dans leur sauce, présentés à l’américaine, en buffet avec boîtes de polystyrène blanc pour emporter. La télévision est branchée sur une chaîne malienne et la serveuse, jeune et jolie femme peule, est voilée. Dans une chaleur étouffante pour cause de climatiseur en panne, on s’échange les dernières nouvelles en pulaar, la langue des Peuls.

«Le mode de vie ici est communautaire. On reproduit les choses du pays et on reste entre nous. Il n’y a pas de question d’intégration comme en Europe, explique Fatou, infirmière de passage. De toute façon, c’est très difficile de se faire des amis américains. Quand on a besoin d’aide, il n’y a personne. Les relations sont très superficielles.»

Le Bronx, la mauvaise réputation

Mamadou Diallo partage avec sa femme et deux autres Guinéens un loyer mensuel de 1.300 dollars (894 euros) pour un quatre pièces, à l’étage d’un pavillon situé dans un quartier résidentiel du Bronx.

«Hier soir, il y a eu des coups de feu à cause des gangs, qui sont en recrudescence en ce moment, raconte Assane, l’un des colocataires. Ce sont des enfants qui se tirent dessus pour des histoires de filles ou de drogue.»

Le Bronx (1,4 million d’habitants) est le berceau du hip-hop et un terrain de jeux pour gangsters, même si le maire de New York, le Républicain Michael Bloomberg, a réussi à sécuriser ce quartier, comme Harlem, donnant de sérieux tours de vis après les attentats du 11 septembre 2001. Les lieux de détente du Bronx —le zoo, les jardins botaniques et la plage de City Island— sont bien connus par les New Yorkais.

«Le Bronx est chouette, affirme Jessie, une étudiante blanche de Manhattan. C’est tout à fait possible de s’y promener dans la journée, même s’il vaut mieux éviter d’y aller seule tard le soir.»

L’arrondissement, qui doit sa mauvaise réputation aux projects, ces barres d’immeubles avec appartements bon marché, déroule aussi de vastes quartiers résidentiels pour classes moyennes, avec petites maisons de bois, quelques mètres carrés de gazon et des drapeaux américains aux balcons.

Dans les zones plus proches de Grand Concourse et de Harlem, on y croise de jeunes noirs aux barbes sophistiquées et au style checkdown: les ceintures retiennent miraculeusement les pantalons juste sous les fesses, tous caleçons dehors. Du rap, volume à fond, s’échappe des fenêtres ouvertes des voitures.

En 2000, l’arrondissement comptait 30% de blancs, 36% de noirs, 3% d’Asiatiques et bien des minorités africaines venues du Nigeria, du Congo, du Liberia et de Sierra Leone. Sur ce total, 48% d’hispaniques qui parlent espagnol à la maison.

Le rêve américain?

Dans un taxi, un chauffeur africain-américain écoute à la radio le pamphlet d’un imam noir:

«Des frères noirs comme du charbon et beaux dans leur négritude viennent de France et disent qu’ils sont Français. Ce sont des vendus. Quand on leur demande: “Mon frère, d’où viens-tu vraiment?”, ils répondent: “Je viens de Paris” [en français, ndlr]. Ils ne veulent pas dire qu’ils sont du Nigeria ou de la Somalie.

Ici, nous ne sommes pas des Américains! Nous sommes des Africains-Américains. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’essayer d’être à égalité avec les Américains. Mais on sait qu’on pourra croupir en prison et ne jamais avoir de procès équitable dans ce pays, simplement parce qu’on est musulman, point final.»

Chérif Mamadou Diallo écoute la tirade, sourire aux lèvres, impassible. La croisade des Black Muslims, héritiers de Malcom X, ce n’est pas son histoire. Lui met son boubou pour aller à la mosquée tous les vendredis et il sait parfaitement qui il est: un émigré guinéen, qui vit à la guinéenne, avec des coups de blues américains, parfois, sur lesquels il ne veut pas s’étendre. Son aventure aux Etats-Unis c’est le rêve de toute une génération dans son pays.

Mais comme beaucoup de ses amis, il ne se voit pas comme un modèle de réussite. Bien des immigrés africains du Bronx savent qu’ils vont finir leur vie ici. Leurs rêves de retraite dorée sous les manguiers de Conakry risquent de s’évaporer, faute de moyens financiers. Certains ne font le vol du retour que dans un cercueil, lorsqu’il faut rapatrier leur corps.

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