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La Guinée nouvelle

Guinée: pourquoi tant de répression brutale contre les populations?

 

La mue de l’armée guinéenne annoncée par le président Alpha Condé semble s’opérer avec beaucoup de difficultés. La bavure militaire qui a causé la mort de cinq manifestants civils de la contrée Zogota, dans la préfecture de Lola, en est une parfaite illustration. Les scories des régimes dictatoriaux ont décidément la cuirasse dure même sous le régime démocratique de l’ex-opposant guinéen. La Grande muette guinéenne traîne la triste réputation d’avoir la gâchette trop facile. Cette étiquette, elle l’a acquise sous le règne de Lansana Conté qui avait érigé la sanglante répression des manifestations et les enlèvements clandestins suivis d’exécutions sommaires de contestataires, en principe de gouvernance.

 

Les événements malheureux qui se sont passés à Zogota dans la sous-préfecture de Nzérékoré après la manifestation du 1er août dernier, rappellent à bien des égards les pratiques qui avaient cours au temps de l’un des plus grands dictateurs que la Guinée Conakry ait connus. De sources concordantes, le massacre des cinq personnes issues d’une même famille, aurait eu lieu le 3 août, soit 2 jours après la marche. Des gendarmes, lourdement armés, se seraient rendus dans la famille des victimes et auraient tiré à balles réelles sur ceux qu’ils avaient identifiés comme étant des auteurs d’actes de vandalisme sur les installations de la compagnie d’exploitation de minerai Valé. Les premières réactions du ministre de l’Administration du territoire guinéen,Alhassane Condé, dans un entretien avec l’AFP, corroborent du reste, en partie en tout cas, cette hypothèse.

 

Celui-ci avait, en effet, reconnu qu’il y avait eu des violences à Zogota, tout en précisant qu’il n’y avait pas eu de mort. Le caractère violent de la sortie des habitants de la localité qui ne demandaient que du travail dans cette société brésilienne et les dégâts commis par des vandales ayant infiltré le mouvement, méritent absolument que l’on recherche et punisse les auteurs de ces actes répréhensibles. Mais cela devait se passer dans le cadre d’une enquête de police, de gendarmerie ou de justice tout en respectant le droit des présumés coupables à la présomption d’innocence à travers un procès équitable. C’est ainsi que doivent se passer les choses sous la présidence du professeur Condé qui s’est opposé, plus d’une décennie durant, aux exécutions extrajudiciaires en risquant même sa vie. Le pouvoir de Conakry n’avait vraiment pas besoin d’inscrire dans son tableau de gouvernance, de nouveaux morts pour affirmer son autorité et prouver aux yeux des investisseurs étrangers que les dirigeants sont prêts à tout pour protéger leurs intérêts. En se comportant de façon aussi « incivilisée » envers leurs concitoyens, les militaires guinéens donnent la preuve qu’ils ne se sont pas encore débarrassés de l’esprit grégaire des régimes d’exception. Et cette propension à la répression systématique et barbare n’est malheureusement point l’apanage de la seule armée guinéenne. Nombre de forces de défense et de sécurité africaines ont toujours fait preuve d’une frilosité qui frise l’absence d’esprit républicain et le manque de professionnalisme.

 

Toutefois, il est évident que les bidasses guinéens font partie des soudards les moins bien formés et les moins disciplinés sur le continent noir. Certes, le nouvel homme fort de Conakry a déjà pu rendre rare la présence impertinente et incommodante de chars de guerre en pleine rue en Guinée. Son porte-parole s’est également fendu d’un communiqué dans lequel il s’est incliné devant la mémoire des Guinéens disparus et annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire en vue de retrouver et de punir les auteurs et instigateurs des crimes et autres infractions commis. Le régime en place doit cependant éviter de se contenter d’une annonce sans effet, car, à moins que ses dignitaires soient tous frappés d’amnésie, ils doivent se laisser maintenant convaincre que les répressions aveugles de manifestants à mains nues ont le plus souvent conduit à des fins inattendues de règne. Ils n’ont qu’à se rappeler le cas le plus proche d’eux, à savoir l’origine réelle de la chute d’un des prédécesseurs de Condé, en la personne de Dadis Camara. Tout est parti du carnage au sein du stade de Conakry suite à la manifestation du 28 septembre 2009 et où des femmes ont été violées avant d’être tuées et séquestrées pour les plus chanceuses. La sanglante répression d’une manifestation de l’opposition juste après l’accession de l’actuel régime au pouvoir, avait également fait des gorges chaudes.

 

La réforme de l’armée guinéenne qui semble l’un des chevaux de bataille du chef de l’Etat guinéen, gagnerait donc à considérer le volet gestion des manifestations comme le ventre mou des changements espérés. Car, l’on ne saurait faire face à une manifestation de civils non armés avec les mêmes moyens et la même rage que l’on emploierait pour mater une insurrection ou une rébellion armée. Il existe toute une technique, voire une bienséance démocratique pour ne pas dire un art en la matière, qui consiste à recourir à des pratiques bien précises pour encadrer ou repousser un mouvement bien précis. Envoyer des militaires gérer une manifestation civile non armée, alors qu’il y a la police ou la gendarmerie dont c’est l’une des missions, reviendrait à aborder la situation dans un esprit de guerre. Toute chose qui ne manquera pas d’engendrer des excès pouvant conduire à des situations déplorables. L’armée ne doit intervenir dans ce genre de situation qu’en cas d’extrême nécessité, c’est-à-dire en dernier ressort, et avec la manière et l’esprit républicains. Les militaires guinéens doivent aller à l’école de ces bonnes pratiques. Le gouvernement de Conakry doit s’y atteler pour que plus jamais les avatars de l’ère Conté ne survivent au vent démocratique qui avait commencé à souffler sur le pays.

« Le Pays »

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